Paris, le 07/04/2006
Monsieur Douste Blazy, ministre des Affaires étrangères,
A l’occasion du prochain conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, au Luxembourg, le 10 avril, doit être abordée la question de l’aide économique de l’UE à l’Autorité nationale palestinienne.
L’hypothèse d’une conditionnalité de cette aide et, partant, de sa possible suspension, a été avancée. Nous tenons à vous faire savoir que nous considérons une telle hypothèse comme à la fois injustifiée, injuste, et risquant par ailleurs de provoquer une crise humanitaire grave au sein de la population palestinienne sous occupation, aux conséquences sociales et politiques dramatiques.
Depuis plusieurs années, les ONG françaises et palestiniennes de défense des droits humains et de solidarité avec le peuple palestinien réclament une conditionnalité des relations économiques de l’Europe avec Israël. Nous demandons, notamment, que l’application de l’accord d’association conclu à l’issue du sommet de Barcelone de 1995 soit soumise au respect par Israël du droit international, de ses obligations internationales et des accords signés, et singulièrement au respect des droits humains.
L’article 2 de cet accord, en effet, postule que les parties contractantes s’engagent au respect des droits humains. Or, Israël ne respecte aucune de ces obligations. Les dirigeants de cet Etat refusent de reconnaître l’Etat palestinien, le droit du peuple palestinien à un Etat dans les frontières de 1967, de respecter les accords signés et de renoncer à la violence contre la population civile palestinienne.
Le 2 avril 2002, durant l’offensive dite « Remparts » contre la Palestine, qui a abouti à la réoccupation par Israël de tous les territoires palestiniens et à la destruction de ses institutions, singulièrement durant le siège meurtrier de la ville et du camp de Jénine, le Parlement européen, à une nette majorité, a réclamé la suspension de cet accord d’association, exigence depuis reformulée.
Les dirigeants européens se sont toujours refusé à envisager cette suspension, attendant impassibles le franchissement de toutes les lignes rouges par le gouvernement et l’armée israéliens dans les territoires occupés.
Même les résolutions de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004 déclarant l’illégalité du mur d’annexion israélien en Cisjordanie et requérant de la communauté internationale qu’elle prenne ses responsabilités pour en interrompre la construction, abattre les parties déjà construites, et restituer leurs terres et leurs biens confisqués aux Palestiniens, sont restées sans suite, en dépit du vote de l’Assemblée générale des Nations unies, lors duquel les 25 Etats membres de l’UE ont pourtant approuvé ces recommandations.
A la lutte contre l’impunité, qui aurait été un message fort au peuple palestinien et à ceux qui, en Israël, se battent pour une paix fondée sur le droit, l’union européenne a préféré le « dialogue » qui a fait la preuve de son inefficacité.
Pire : l’UE et ses Etats membres ont développé une coopération économique mais aussi stratégique sans précédent avec Tel-Aviv. Le retrait unilatéral de la bande de Gaza a été applaudi comme une preuve de bonne volonté israélienne alors même qu’il a été officiellement conçu pour poursuivre la construction du mur d’annexion, intensifier la colonisation de la Cisjordanie et, selon les propos de Dov Weissglas, conseiller d’Ariel Sharon, « geler dans le formol toute négociation politique ».
L’unilatéralisme est en effet la doctrine stratégique du nouveau parti Kadima, pour écarter toute négociation avec l’Autorité palestinienne, avec le président élu Mahmoud Abbas comme aujourd’hui avec le nouveau gouvernement et pour annexer les grands blocs de colonies d’ici 2010, en violation du droit international. Jusqu’à présent, le gouvernement israélien agit dans une totale impunité.
Et voici que c’est à l’encontre du peuple palestinien et de ses dirigeants démocratiquement élus que surgit, pour la première fois dans ce conflit, l’hypothèse de sanctions. Ce n’est pas seulement un choix fondé sur un « deux poids, deux mesures », c’est aussi une inversion des termes du conflit, celui d’une occupation par Israël des territoires palestiniens.
L’Union européenne en effet, qui a reconnu le caractère transparent et démocratique du scrutin palestinien, n’en a pas moins formulé des exigences pour pérenniser son aide économique. Elle exige du Hamas ce qu’elle se refuse à exiger d’Israël, pourtant partie occupante. En l’occurrence la reconnaissance de l’Etat d’Israël, le respect des accords signés et l’arrêt de la violence.
Cela revient à négliger que l’occupation, la colonisation, la confiscation des terres et des ressources d’eau palestiniennes, l’étouffement économique, la permanence des barrages qui morcellent le territoire et empêchent tout déplacement, comme la construction du mur d’annexion et les assassinats ciblés ou non, les détentions de masse dont celles de plusieurs centaines d’enfants, sont la première des violences et leur source. Cela revient à négliger que la paix est la garantie de la sécurité et non l’inverse, et qu’elle suppose une négociation fondée sur le droit international, tout le droit international, garantie par la communauté internationale.
Cela revient aussi à oublier que la résistance d’un peuple contre une occupation armée est un droit reconnu par les Nations unies.
L’Union européenne a inscrit le Hamas sur la liste des organisations terroristes. Nous avons pour notre part condamné sans ambiguïté les attentats contre des civils. Cela signifie qu’il faut aussi reconnaître et condamner comme tel, également sans ambiguïté, le terrorisme d’Etat imposé par le gouvernement et l’armée israéliens au peuple palestinien. Ce que se refusent jusqu’à présent à faire les Etats membres de l’Union européenne, et singulièrement la France, position intenable du point de vue du droit et de la justice.
L’Union européenne est la première contributrice économique du peuple palestinien et de ses institutions sous occupation. Malgré cette aide, les conditions de l’occupation condamnent la majorité de la population à ne survivre qu’en deçà du seuil de pauvreté. La première condition d’un développement durable en Palestine est l’arrêt de l’occupation, même si le nouvel Etat indépendant aura besoin de toute l’aide internationale pour sortir du « dé-développement » auquel l’occupation l’aura réduit.
L’Union européenne est donc fondée à intervenir politiquement pour faire enfin respecter le droit international par Israël, le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, à commencer par son droit à un Etat indépendant dans des frontières sûres et reconnues, ce qui suppose le retrait israélien de tous les territoires occupés depuis 1967.
L’Union européenne doit aussi renforcer son aide économique au gouvernement palestinien issu des urnes. Ne pas le faire condamnerait le peuple palestinien à une crise humanitaire sans précédent. Ce serait aussi bafouer son choix démocratique, alors que les élections législatives qui viennent d’avoir lieu dans les conditions imposées par l’occupation sont le reflet à la fois de sa volonté d’une vie plus sûre, d’une amélioration de ses conditions d’existence, d’un assainissement de ses institutions et de son rejet de l’unilatéralisme israélien contre lequel la communauté internationale est restée inerte.
Il est temps de mettre un terme à une lecture factice du conflit qui impose au peuple occupé de faire la preuve préalable de sa capacité à l’autodétermination et à l’indépendance et qui donne des gages à la puissance occupante pour poursuivre sa stratégie unilatérale d’annexion et de violation du droit international. Il est temps de redonner une chance à la paix.
L’Union européenne en a l’occasion ce 10 avril. Nous demandons à la France d’intervenir en ce sens avec détermination auprès des autres Etats membres.