La démarche
La publication de la base de données des Nations unies le 12 février 2020 a représenté une étape importante dans les relations entre affaires et Droits humains (UN Guiding Principles on Business and Human Rights), et constitué un grand pas vers la responsabilisation des entreprises impliquées dans l’occupation et la colonisation israéliennes. La liste recensait des sociétés basées en Israël (94), aux États-Unis (6), aux Pays-Bas (4), en France (3), au Royaume-Uni (3), au Luxembourg (1) et en Thaïlande (1). Toutefois l’approche et le cadre temporel restreints appliqués par le HCDH (Haut Conseil des Droits Humains de l’ONU) laissaient de côté des centaines d’autres entreprises pourtant impliquées elles aussi dans la colonisation israélienne, qui est illégale et constitue un crime de guerre en vertu du droit international. L’actualisation de ces données a été entravée par le manque de moyens orchestré par les opposants à la démarche, États-Unis et Israël en tête.
Le rapport DBIO
L’objectif pour la coalition, bientôt appelée DBIO, appuyée par un rapport original de Profundo, association néerlandaise à but non lucratif de conseil pour un monde durable et juste, était d’impulser des actions au niveau européen contre les investissements directs ou indirects dans les Territoires Palestiniens Occupés (TPO). Fin juin 2021, Profundo a publié une nouvelle version de son rapport actualisée, documentée, approfondie, remarquable outil1 analytique. Un premier rapport de la même ONG néerlandaise avait été publié le 29 mars 2017 pour la France : « Les liaisons dangereuses des banques et assurances françaises avec la colonisation israélienne ». Ce rapport a été élargi avec DBIO à l’Europe, aux États-Unis et à Israël, pour un suivi avec l’organisation d’une campagne.
Le rapport montre ainsi qu’entre 2018 et mai 2021, 672 institutions financières européennes, y compris des banques, des gestionnaires d’actifs, des compagnies d’assurance et des fonds de pension, avaient des relations financières avec 50 entreprises activement impliquées dans les colonies israéliennes. Au cours de cette période, 114 milliards USD ont été fournis sous forme de prêts et de souscriptions. En mai 2021, les investisseurs européens détenaient également 141 milliards USD de dollars en d’actions et d’obligations de ces sociétés. Le rapport désigne les 50 entreprises européennes impliquées et analyse leurs fonds financiers.
A partir de cette analyse factuelle des relations financières d’institutions ayant leur siège dans l’Union européenne, au Royaume-Uni et en Norvège, il s’agit de leur rappeler les conséquences de leur implication dans l’occupation israélienne, les violations des droits de l’homme qui y sont associées, et de les amener à prendre les mesures pour y remédier, en informant les employés de ces institutions ainsi que le grand public. La responsabilité sociétale et environnementale (RSE) des entreprises est en effet engagée, selon les termes de la EHRDD (Environmental and Human Rights Due Diligence, soit l’assiduité observée en matière d’environnement et de droits humains).
D’un commun accord, en considérant les difficultés inhérentes aux vocabulaires français et anglais, la coalition a pris le nom de : « Don’t Buy into Occupation » (DBIO) : « N’investissez pas dans la colonisation », slogan qui fonctionne à la fois pour les professionnels et le grand public. DBIO est un projet conjoint démocratiquement mené par le CNCD, avec un cahier des charges précis, suivi par 25 puis 26 organisations régionales, européennes et palestiniennes (PIPD, CIHR2), dont des syndicats : y sont représentés en plus de la Palestine, la Belgique, la France, l’Irlande, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et le Royaume-Uni.
Premiers résultats
Ces dernières années, plusieurs institutions financières ont pris leurs responsabilités en se désinvestissant des entreprises liées aux colonies israéliennes en raison des risques d’implication dans des violations des droits humains. Les deux exemples les plus récents et les plus importants sont ceux de Kommunal Landspensjonskasse (KLP) et du Norwegian Government Pension Fund Global (GPFG). KLP est le plus grand fonds de pension de Norvège et, en juillet 2021, il s’est désinvesti de 16 sociétés liées à la colonisation israélienne. De même GPFG a annoncé en septembre 2021 qu’il exclurait trois entreprises activement impliquées. Depuis 2010, de nombreuses autres institutions, banques et entreprises telles que Dexia Crédit Local (France), Deutsche Bank (Allemagne), Barclays (Royaume-Uni), HSBC (Royaume-Uni), AXA IM (France), Government Pension Fund Global (Norvège), Danske Bank (Danemark), Sampension (Danemark), United Methodist Church (États-Unis), Quakers in Britain Church (Royaume-Uni), Storebrand (Norvège) et Europcar Groupe (France) ont décidé de se retirer d’entreprises impliquées dans les colonies israéliennes.
En France
L’AFPS a choisi, en accord avec ses partenaires, de cibler trois entreprises impliquées dans une ou plusieurs des « activités répertoriées » par la banque de données de l’ONU ; ces entreprises fournissent des investissements sous différentes formes, à des niveaux financiers différents, qui ont des impacts différents sur les Palestiniens. La banque BNP-Paribas est de loin l’une des plus impliquées (comme créancier et/ou investisseur), ainsi que deux entreprises (non françaises) directement impliquées, Heidelberg Cement (cimenterie allemande) et Booking Holdings.
Des difficultés...
La principale est celle de la langue, la pratique de l’anglais étant requise. Il n’est pas simple non plus de travailler avec un grand nombre de structures dont plusieurs ont un ancrage différent, plus « humanitaire » que l’AFPS, et parfois liées à des églises, ce qui implique une culture militante différente. Des réticences se sont fait jour (sans rapport avec ce qui précède) par exemple à employer le mot « apartheid », les discussions et concertations ont pris beaucoup de temps ; les actions des groupes de la coalition sont diverses, orientées vers le grand public, la rue ou plus tournées vers les échanges avec des décideurs. Les deux se sont rejoints in fine et renforcent l’action !
Une grande force aussi
Ces contacts avec des structures nouvelles pour nous ont été stimulants et riches, impliquant beaucoup de jeunes militant(e)s dynamiques et expérimenté(e)s qui nous ont appris. Certains de nos camarades européens ont des contacts plus faciles et plus rapides avec les ministres, les gouvernements, les décideurs, dans certains pays du Nord. Plus petits ? Moins centralisés ? Mieux disposés vis-à-vis de la Palestine ? Pas de doute : en France, nous avons à faire à un gouvernement résolument hostile.
La coalition nous a amenés à renforcer nos contacts en France avec la FIDH et la CGT comme cosignataires du rapport, ainsi que la LDH, Solidaires et la CFDT.
Et pour les GL, la campagne sera, nous l’espérons, l’occasion de reprendre et de renforcer des contacts avec les syndicats et les plates-formes locales des ONG, la LDH.
Au moment de la rédaction les groupes locaux de Paris, Nantes, Montpellier, Bourg-en-Bresse sont intervenus publiquement.
Le 20 décembre, 782 mails ont été envoyés aux divers responsables européens de la BNP, 480 en français, 280 en flamand/néerlandais et 22 en anglais. Ce qui est un excellent résultat !
Une semaine d’action européenne « Don’t buy into occupation » est prévue du 31 janvier au 4 février 2022 dans tous les pays européens associés, avec distributions de tracts, « tempêtes de tweets », lettres aux responsables de banques et d’institutions financières, projections de clips vidéo sur des façades d’immeubles et autres moyens d’expression créatifs !