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La société mère de Facebook et d’Instagram, Meta, envisage des règles plus strictes concernant les discussions du nationalisme israélien sur ses plateformes, un changement de politique majeur qui pourrait étouffer la critique et la liberté d’expression sur la guerre à Gaza et au-delà, ont déclaré à The Intercept cinq sources de la société civile qui ont été informées de ce changement potentiel.
Meta est en train de revoir sa politique en matière de discours de haine, en particulier en ce qui concerne le terme "sioniste"", peut-on lire dans un courriel envoyé le 30 janvier à des groupes de la société civile par le personnel de Meta et examiné par The Intercept. D’après ces sources, bien que le courriel indique que Meta n’a pas pris de décision finale, il sollicite les réactions de la société civile et des groupes de défense des droits numériques sur un éventuel changement de politique. Le courriel indique que "Meta est en train de revoir cette politique à la lumière de contenus récemment signalés par des utilisateurs et des parties prenantes", mais il ne détaille pas les contenus en question et ne nomme aucune partie prenante.
Dani Noble, un organisateur de Jewish Voice for Peace, l’un des groupes que Meta a contacté pour discuter de ce changement possible, a déclaré “ En tant qu’organisation juive antisioniste pour la liberté des Palestiniens, nous sommes horrifiés d’apprendre que Meta envisage de traiter par extension le terme "sionisme" - une idéologie politique - de la même manière que "juif/juive" - une identité ethno-religieuse". Dani Noble a ajouté qu’un tel changement de politique "aura pour conséquence de protéger le gouvernement israélien d’avoir à rendre compte de ses politiques et actions qui violent les droits de l’homme des Palestiniens".
Depuis des années, Meta permet à ses 3 milliards d’utilisateurs autour du monde d’employer le terme "sioniste", qui désigne les partisans du mouvement historique pour la création d’un État juif au Moyen-Orient, ainsi que les partisans du nationalisme moderne qui soutiennent cet État et ses politiques.
"Nous n’autorisons pas que des gens soient attaqués sur la base de leurs caractéristiques protégées, comme leur nationalité ou leur religion. Pour appliquer cette politique, il faut comprendre comment les gens utilisent le langage pour mentionner ces caractéristiques", a déclaré Corey Chambliss, porte-parole de Meta, à The Intercept. Même si le terme "sioniste" fait souvent référence à l’idéologie d’une personne, qui n’est pas une caractéristique protégée, il peut également être utilisé pour désigner les Juifs ou les Israéliens. Étant donné l’augmentation du discours public polarisé du fait des événements au Moyen-Orient, nous pensons qu’il est important de réévaluer nos directives pour les messages qui utilisent le terme sioniste."
Dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, des groupes résolument pro-israéliens comme l’Anti-Defamation League ont ouvertement appelé à traiter l’antisionisme comme une forme d’antisémitisme, soulignant que le mot est souvent utilisé par les antisémites comme un substitut du mot "juif". L’ADL et l’American Jewish Committee, un autre groupe d’influence pro-israélien et sioniste aux États-Unis, ont tous deux fait pression sur le Meta pour limiter l’utilisation du mot "sioniste", selon Yasmine Taeb, directrice législative et politique de l’association musulmane citoyenne de plaidoyer MPower Change. Dans sa déclaration, C. Chambliss a répondu : "Nous n’avons pas commencé à développer cette politique sur ordre d’un groupe extérieur".
Y. Taeb s’est entretenue avec un employé de Meta étroitement impliqué dans le changement de politique proposé et a déclaré que cela entraînerait une censure massive des références critiques au sionisme, limitant, par exemple, les discours non haineux et non violents sur l’effusion de sang en cours à Gaza.
Même si une déclaration aussi générale que "Je n’aime pas les sionistes" peut être prononcée par un utilisateur antisémite d’Instagram pour exprimer son aversion pour les Juifs, les défenseurs de la société civile soulignent qu’il n’y a rien d’intrinsèquement ou de nécessairement antijuif dans cette déclaration. En effet, une grande partie de l’activisme politique le plus féroce contre la guerre d’Israël à Gaza a été organisée par des juifs antisionistes, alors que les chrétiens sionistes évangéliques américains sont parmi les partisans les plus résolus d’Israël.
"La suppression de la parole pro-palestinienne critique d’Israël se produit précisément pendant le génocide à Gaza", a déclaré Y. Taeb lors d’une interview. "Meta devrait plutôt travailler à la mise en œuvre de politiques qui garantissent que le discours politique n’est pas supprimé, et ils font l’exact opposé. "
Selon les documents de présentation examinés par The Intercept, Meta a partagé avec les parties concernées une série de messages hypothétiques qui pourraient être supprimés dans le cadre d’une politique plus stricte, et a sollicité des commentaires pour savoir s’ils devraient l’être. Nadim Nashif, consulté cette semaine par Meta par vidéoconférence, a déclaré qu’un des exemples semblait être un cas clair de cliché conspirationiste antisémite sur le contrôle des médias soutiens, mais que d’autres étaient des critiques de la politique de l’État israélien ou de ses soutiens, et non du judaïsme. Le Meta prévoit d’informer les groupes concernés américaines vendredi matin, selon son message.
Parmi les exemples de messages que Meta pourrait censurer en vertu de cette nouvelle politique figurent les déclarations : "Les sionistes sont des criminels de guerre, regarde ce qui se passe à Gaza" ; "Je n’aime pas les sionistes" ; et "Aucun sioniste n’est admis à la réunion de ce soir de l’Association des étudiants progressistes". Nashif a indiqué que l’un des exemples : "Il suffit de lire les nouvelles tous les jours. Une coalition de sionistes, d’Américains et d’Européens tente de dominer le monde". - a été décrit par Peter Stern, directeur de la politique de contenu et de l’engagement des parties prenantes de Meta, comme pouvant être haineux parce qu’il impliquait une opinion conspirationniste sur les Juifs.
Dans une interview accordée à The Intercept, Nashif a exprimé son désaccord, affirmant que la critique de l’alliance stratégique et de l’alignement de la politique étrangère entre les États-Unis, les États européens et Israël ne devait pas être confondue avec un sectarisme conspirationnel contre le judaïsme, ni être réduite à des fantasmes sectaires sur l’influence mondiale des juifs. Nashif dit que, lors de leur rencontre, Stern a reconnu que le sionisme est une idéologie politique et non un groupe ethnique, alors que la réglementation en perspective le traiterait davantage comme ce dernier. Il a ajouté "Je pense que cela pourrait en fait nuire à la lutte contre l’antisémitisme, en confondant le sionisme et le gouvernement israélien avec le judaïsme."
Il sera difficile, voire impossible, de déterminer si quelqu’un dit qu’il "n’aime pas" les sionistes avec une intention haineuse, a déclaré M. Nashif, ajoutant : "Il faudrait de la télépathie". Meta n’a pas encore communiqué aux personnes qu’elle a informées les principes généraux, les règles ou les définitions qui guideraient cette politique révisée ou aideraient les modérateurs à l’appliquer, a déclaré M. Nashif. Mais étant donné la censure systématique des utilisateurs palestiniens et arabes de ses plateformes par de l’entreprise, M. Nashif et d’autres personnes au fcourant de ce changement potentiel craignent qu’il ne rende la liberté d’expression dans le monde arabe encore plus périlleuse.
"En tant que juifs antisionistes, nous avons vu comment le gouvernement israélien et ses partisans ont poussé un programme qui prétend à tort que l’assimilation de "sioniste" à "Juif" ou "juif" assurera d’une manière ou d’une autre la sécurité des juifs", a ajouté M. Noble de Jewish Voice for Peace. "Non seulement l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme nuit à tous ceux qui luttent pour les droits de l’homme dans le monde en étouffant la critique légitime d’un État et d’une armée, mais il ne fait rien pour assurer la sécurité de notre communauté tout en sapant nos efforts collectifs pour démanteler l’antisémitisme réel et toutes les formes de racisme, d’extrémisme et d’oppression."
Traduction : AFPS