Elle combine la présidence de l’OCR avec ses fonctions de rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile, ainsi que celles de codirectrice du séminaire « droit international et comparé en Méditerranée et Moyen-Orient » de l’iReMMO [1]. Elle enseigne à l’École supérieure de journalisme de Paris. Elle est membre du comité d’experts de l’Observatoire de l’intégration et d’accès aux droits des personnes migrantes d’ISM interprétariat [2].
Vous avez créé l’Observatoire des camps de réfugié·es (OCR) en 2019, pour quelles raisons ?
Rima Hassan : Les origines de ce projet sont à la croisée de mon histoire personnelle et de ma formation professionnelle en tant que juriste. Après avoir pris conscience que je n’avais pas de pays : je suis réfugiée palestinienne, mais je suis née dans un camp, un lieu invisibilisé. Jusqu’à mes 18 ans j’étais apatride, n’ayant que des documents au titre de réfugiée syrienne ; mais également, j’ai réalisé à quel point on manquait d’informations sur les camps et sur les réfugié·es à l’échelle globale. Camps qui sont à la fois un lieu qui se pérennise, mais qui semble invisible, alors qu’à l’échelle mondiale un·e réfugié·e sur trois vit dans un camp pendant une durée moyenne de 12 années ; le plus souvent financé par les États.
L’OCR a 3 missions principales : étudier, enquêter et sensibiliser sur les lieux « d’encampement » des personnes exilées à travers le monde. Comme un contre-pouvoir pour ces lieux d’enfermement.
- Recenser et étudier les camps et la nationalité des réfugié·es
- Enquêter auprès des réfugié.es
- Construire des plaidoyers, pour penser la question humanitaire différemment, trouver des alternatives et sortir des lieux de gestion des « indésirables » que sont les camps. Chaque année nous travaillons un thème particulier (accès aux droits, santé mentale…)
Réfugié·es palestinien.nes : de qui, de quoi parle-t-on ?
R. H : La Nakba (moment historique où entre 1946 et 49 près de 800 000 Palestinien.nes sur 1,4 million ont été expulsé·es) est le fait central du narratif palestinien et un processus continu au cours duquel ils ont été et sont encore dépossédé.es de leur terre et de leur identité. Il sera impossible de sortir du « conflit » sans affronter la question, sans résoudre la situation par une reconnaissance des faits et par l’application du droit reconnu entre autres par la résolution 194.
Aujourd’hui, l’UNRWA recense près de 7 millions de réfugié.es vivant dans 58 camps officiels. Mais on considère que plus d’un million de celles/ceux qui ont été poussé·es à l’exil n’ont jamais été enregistré.es. Quelles sont les principales différences entre ces réfugié.es ?
R. H : Les réfugié·es palestinien·nes dépendent tous de la même agence, l’UNRWA. Mais celle-ci, contrairement au HCR (dont les Palestiniens sont exclus), n’a qu’un mandat d’assistance et non de protection.
Ainsi, les disparités entre réfugié.es dépendent principalement des conjonctures « politiques » des pays qui les accueillent.
En Palestine, dans le TPO (Cisjordanie, Gaza), les réfugié·es ne sont pas totalement déraciné·es, mais près de la moitié sont apatrides, sans pièce d’identité. Ils sont le terreau de la résistance.
En Jordanie, la majorité est naturalisée. On considère que 70 % de la population jordanienne est d’origine palestinienne.
Au Liban, on trouve la situation la plus alarmante. Les réfugié·es sont perçus comme des ennemi·es de l’intérieur, sans assimilation possible. Les camps sont souvent insalubres, fermés. La résistance armée s’y développe, ainsi que l’insécurité (on trouve des armes dans la moitié des 12 camps). La guerre civile complète ce tableau.
En Syrie, la situation des camps est la plus mal documentée. Les réfugié·es ne peuvent avoir la citoyenneté.
Ils sont vulnérables et instrumentalisé.es. Ils ont cependant accès aux services sociaux et aux études supérieures, ne sont pas enfermé·es dans la mesure où ils ont accepté de faire leur service militaire où une filière leur est dédiée. Mais à tout moment, ils peuvent subir des punitions collectives (cf. le camp de Yarmouk, dans le film Little Palestine).
Qu’est-ce qui participe de leur union ?
R. H : L’union entre tous les réfugié·es est très forte. Elle procède d’un rapport identique à la Palestine : celui d’exilé.e.
Il y a aussi une mémoire commune, celle du traumatisme initial, la Nakba. Un récit identique qui se transmet depuis 4 ou 5 générations. Le partage d’un même statut d’appartenance à l’UNRWA, et les droits reconnus par la résolution 194 de l’ONU, qui ne sont pas figés à 1948, sont aussi un socle qui fait union entre les réfugié·es où qu’ils soient. Une assise qu’il faut compléter par le défaut de réparation ou d’indemnisation. Ainsi, aucun réfugié·e ne renonce à son identité, à ses droits, au lieu d’où vient sa famille…
L’union résulte aussi de l’organisation identique des camps (autonomes), autour de comités populaires, qui permet un espace de pouvoir où se développent la résistance et la lutte, en plus de l’aspect humanitaire, en écho à l’injustice criante, au manque de perspectives nécessaires pour alimenter l’espoir.
Aujourd’hui quels sont les besoins des réfugié·es palestinien·nes ? À quelles conditions pourrait-on envisager un futur démantèlement des camps ?
R. H : Il faut d’abord ne pas exclure les réfugié·es de la solution palestino-israélienne, ce qui est le cas lorsqu’on juge que cette question est « annexe ». Au contraire il faut inclure leur situation et resituer l’actualité du droit inaliéné des résolutions de l’ONU et des camps. Aujourd’hui, 33 % des Palestinien·nes vivent dans un camp de réfugié·es. Il s’agit bien d’une question centrale et incontournable.
En aucun cas il ne faut renoncer au droit au retour ou à l’indemnisation qui est un droit collectif de tous les réfugié.es, où qu’ils vivent ; en opposition à la Loi des absents et aux confiscations subies.
Il s’agit de bien séparer la consécration nécessaire de ce droit, de sa mise en œuvre au cas par cas. Des travaux sur la faisabilité, des cartographies, des évaluations financières sont disponibles [3]. Le droit au retour, même symbolique est une étape indispensable de la réparation à laquelle les réfugié.es aspirent. Une justice élémentaire, en fonction de la volonté et du courage politique qu’imposera un rapport de force politique qui reste à construire. Cette situation est aussi complexe que la situation des réfugié·es qui reçoivent en héritage un ancrage et un traumatisme.
Réfugié·es qui sont par essence privé·es du lieu de leur histoire, à la fois déraciné·es, exilé·es ; maintenant, après plusieurs générations, ancré·es dans de nouveaux parcours de vie, elles et ils ont tissé des liens qui peuvent brouiller le désir d’un retour réel en Palestine, où parfois ils n’ont plus rien. Porteurs d’un débat intérieur et d’un déchirement entre le devoir de retour et le droit au retour. Entre un camp, ou un pays.
Cette année vous êtes retournée en Syrie – ou vous étiez déjà allée en 2022 – dans le camp où vous êtes née. Récit de voyage dont vous allez publier un livre aux éditions Les équateurs à paraître l’hiver prochain. Avez-vous eu le sentiment de vivre « un retour » ?
R. H : Le livre abordera la signification du « retour ». Pas le « grand retour » en Palestine, mais un retour à des origines. Un retour qui m’a permis de revoir mon père, alors que mes frères ne peuvent pas l’y retrouver.
Un retour à une partie de mon histoire familiale, entre le devoir de retour en Palestine, ultime choix de ma mère et le projet de mon père de rester dans le camp où ses parents sont enterrés.
Que veut dire le retour après un double déracinement ? Celui de la Palestine, qui est l’histoire partagée des réfugié.es et l’histoire transmise par la famille ; en quittant la Syrie pour la France, en sortant du camp où je suis née et en y retournant maintenant, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que ce retour au camp représente ? Ce sont ces questions qui traverseront mon livre.
Propos recueillis par Mireille Sève auprès de Rima Hassan