Photo : Destruction causée par un raid de l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Balata, Cisjordanie, 22 avril 2024 © Quds News Network
Ce n’est pas un hasard si les camps de réfugiés sont les principales cibles de l’armée israélienne. En décembre 1987, c’est du camp de Jabaliya, au nord de la ville de Gaza, qu’a démarré la première Intifada. En 2002, le camp de réfugiés de Jénine était qualifié par l’occupant de « nid de frelons ».
Les réfugiés, qui vivent entassés dans les camps, sont les plus démunis des Palestiniens : mal logés et confrontés à un chômage persistant, ils n’ont rien à perdre, ne croient plus en la paix – peut-être n’y ont-ils jamais cru. Très attachés au droit au retour, ils font partie des Palestiniens les plus politisés. La résistance sous toutes ses formes, y compris armée, est la marque d’une jeunesse très nombreuse. Pour Israël, s’attaquer à ces noyaux durs de la résistance est une priorité dans sa conquête de la terre palestinienne.
Des attaques combinées au sol et dans les airs
Les incursions qui ont lieu chaque semaine sont méticuleusement préparées et réalisées : on l’a vu plusieurs fois ces derniers temps à Jénine, sept fois à Nour shams près de Tulkarem entre octobre et janvier, ou à Balata, aux abords de Naplouse. Le survol du camp par les drones annonce l’invasion. Arrivent alors les blindés et les bulldozers qui défoncent les chaussées, éventrant les réseaux d’eau, d’électricité et d’assainissement. Ces destructions visent à empêcher les habitants de sortir en voiture et à bloquer l’arrivée des secours. Les hôpitaux sont parfois assiégés comme à Tulkarem le 17 janvier.
Les snipers peuvent alors prendre position dans les maisons et sur les toits pour contrôler les opérations qui se déroulent : tirs de missiles par des drones, bombardements de maisons. Si la population proteste l’armée tire à balles réelles, comme à Jénine le 9 novembre ou le 21 février, faisant plusieurs morts et de nombreux blessés. Ce jour-là 14 Palestiniens ont été arrêtés.
Ces incursions peuvent durer plusieurs jours de suite, avec une logistique appuyée par les colons. Ceux-ci ont bloqué la route qui relie Jénine à Tulkarem pendant l’attaque simultanée des deux camps par l’armée. Les incursions visent souvent à capturer un résistant qui se trouverait dans le camp, à saisir des armes et des munitions, mais elles sont aussi l’occasion d’attaquer tout un camp comme à Shu’fat (Jérusalem) le 18 février dernier, en représailles contre un habitant soupçonné d’avoir agressé un colon.
Ces punitions collectives prennent fréquemment la forme de destruction de la maison familiale d’un résistant identifié. La destruction de maisons comme punition collective était l’un des pires châtiments de la Grèce antique « comme mise à l’écart définitive de la société du transgresseur et de ses descendants » [1]. En Palestine, outre que cette pratique, déjà courante par le passé, constitue un crime de guerre, elle se concrétise par l’expulsion de la famille, contrainte au déplacement voire à l’exil.
Détruire la société palestinienne
Chasser les Palestiniens de leur terre, exterminer ceux qui résistent ou les soumettre, tel est l’objectif de la colonisation israélienne qui s’applique de la mer au Jourdain. Cette politique vise en premier et de manière la plus brutale les camps de réfugiés dont l’existence constitue le témoignage visible du nettoyage ethnique de la Nakba. En Cisjordanie comme à Gaza – où vivaient 1,4 million de réfugiés dans huit camps –, il s’agit donc de s’attaquer à l’existence même de ces camps à travers la destruction des infrastructures et des marqueurs de la culture des réfugiés.
À Jénine, un des premiers symboles de la résistance éradiqué fut l’emblématique cheval de métal de l’entrée du camp, structure composée de morceaux de véhicules écrasés par les chars lors de l’attaque meurtrière de 2002 et aménagé avec les photos de martyrs. Un rond-point où figurait une carte de la Palestine a également été rasé, de même que le mémorial à la mémoire de Shirin Abu Akleh, journaliste assassinée en 2021 par l’armée israélienne L’attaque du Théâtre de la Liberté de Jénine et l’emprisonnement de son président et son directeur relèvent de la même logique.
Les destructions matérielles s’accompagnent également de tortures visant à déshumaniser les Palestiniens. On a vu les longues files de prisonniers avançant courbés, les yeux bandés, le premier de la file obligé de porter un drapeau israélien. À Jénine, c’est le corps d’un Palestinien tué qui a été attaché à une voiture et traîné dans le camp. L’occupation des maisons palestiniennes s’accompagne de dégradations diverses et de saccages : graffitis, mélange des denrées (huile, farine, riz) pour les rendre inutilisables, vol des bijoux… Cet acharnement morbide et violent se propage également aux villes adjacentes aux camps où l’armée d’occupation détruit les étals et les magasins.
Des conséquences graves pour les enfants et la jeunesse
Les enfants sont très marqués par cette guerre qui les touche directement. Certains sont blessés ou tués, et tous sont affectés par ces violences. Ils peuvent être confinés plusieurs heures dans les locaux de leur école pendant des incursions. Les attaques nocturnes sont très anxiogènes et ils connaissent tous un voisin, un ami qui a été tué. On imagine les traumatismes qui en résultent.
Les jeunes qui entrent dans la résistance se mobilisent courageusement à chaque incursion, mais leur armement est inégal face à la puissance de feu de l’occupant et leur soutien logistique est inexistant. Nombreux sont ceux qui sont tués, toute une génération est décimée.
Les massacres et destructions dans les camps de réfugiés et en Cisjordanie relèvent des mêmes armes et des mêmes méthodes qu’à Gaza. Cela procède du génocide en cours. Si Jénine est parfois qualifié par ses habitants de « petit Gaza », beaucoup s’inquiètent qu’une fois le « sale boulot » achevé à Gaza, il ne s’étende à l’ensemble de la Cisjordanie de manière plus intensive.
Pierre Leparoux